(Crédit photo : Free of rights, Unsplash, Max Kudukurudziak)
1/ « L’Ukraine aujourd’hui, Taïwan demain » :
Ce sont les mots de John Avlon présentateur de CNN qui est passé dans le Late Show de Stephen Colbert il y a quelques jours. Il n’est pas le seul à penser de la sorte. Si les Américains sont concentrés sur l’Asie, ils ont certainement conscience que Pékin regarde avec grande attention la réaction américaine en Europe. « Soyez-en certains, dit Avlon à Colbert, c’est l’Ukraine aujourd’hui, Taïwan demain. L’Ukraine est le grand test. Celui qui dictera l’avenir de la démocratie dans ce siècle. »
2/ « L’écho se fera entendre à Taïwan » :
Il y a déjà une semaine, Boris Johnson prévenait également la communauté internationale : « Si l’Ukraine est en danger, cela aura des répercussions jusqu’en Asie et l’écho se fera entendre à Taïwan. Certains pourraient conclure que les agressions militaires sont payantes. »
https://www.reuters.com/world/uk/uk-pm-johnson-says-west-needs-solidarity-russia-2022-02-18/
3/ Taïwan est en alerte :
Il n’y a pas de mouvements de troupes chinoises inhabituels mais l’île est actuellement en alerte. Le ministre des affaires étrangères de Taïwan dit craindre que la Chine profite de la guerre en Ukraine pour attaquer de son côté. Un task group a été créé pour surveiller la situation.
https://www.reuters.com/world/asia-pacific/taiwan-casts-wary-eye-china-amid-ukraine-crisis-no-immediate-alarm-2022-02-23
4/ Poutine a-t-il reçu le feu vert de Pékin ? :
L’amitié entre V. Poutine et Xi Jinping n’est un secret pour personne. Toutefois, malgré un rapprochement récent, il n’y a pas que des bons sentiments dans la relation Russie-Chine. Loin de là. Surtout, en dehors de la protection de ses intérêts, la Chine rechigne habituellement à jouer un rôle actif dans les relations internationales. Il n’y a peut-être pas eu de feu vert à proprement parler, mais Vladimir Poutine n’aurait pas été jusqu’à Kiev sans le soutien chinois. C’est en tous cas ce que pense l’experte Angela Stent, également auteure du livre Putin’s World.
https://www.newyorker.com/news/daily-comment/what-is-china-learning-from-russias-invasion-of-ukraine
5/ Xi Jinping a partagé les renseignements américains :
Les diplomates de Joe Biden ont essayés pendant trois mois de faire en sorte que le Chine dissuade Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Les chinois n’y ont pas cru et Xi Jinping s’est affiché avec Poutine au J.O. d’hiver.
6/ Pour Taïwan, la Chine avertit de longue date :
Contrairement à l’annexion de l’Ukraine qui a surpris tout le monde, Xi Jinping ne cache pas sa résolution de reprendre Taïwan, considérée comme une province perdue aux mains des nationalistes en 1949. « Par la force s’il le faut », a-t-il même précisé en 2019. Les exercices militaires chinois dans la zone sont quasi quotidiens.
7/ Joe Biden met la pression maximum sur Pékin :
Loin de mettre un frein au bras de fer entamé par Trump, depuis 2020, l’Amérique de Joe Biden met une énorme pression sur son rival : aucun doute, le pivot américain péniblement entamé il y a dix ans déjà, est maintenant en mode full steam. Joe Biden a même proposé que la menace chinoise soit dans le viseur de l’OTAN qui a pourtant été créée pour contenir l’URSS et désormais la menace russe. Ci-dessous le tout 1er article du Pivot (anciennement USA-Chine) :
8/ « L’Occident va trop loin »
Là où Vladimir Poutine évoque l’élargissement de l’OTAN dans les ex-républiques soviétiques comme une provocation, la Chine considère, elle, la question taïwanaise comme une question de politique intérieure. Pour Pékin, l’Occident joue avec le feu rien qu’en évoquant le sujet. Les déplacements récents de délégations européennes et américaines à Taipei sont de même considérés comme une provocation intolérable.
https://www.rtbf.be/article/taiwan-pekin-appelle-washington-a-ne-pas-jouer-avec-le-feu-10560275
9/ Xi Jinping n’attendra pas 2049 :
Le régime communiste chinois aime les dates-symboles et les objectifs. 2049, c’est l’approche du centenaire de l’indépendance et de la victoire du PCC. C’est à cette date que le pays devra avoir réalisé son « rêve chinois ». Un rêve non individuel comme le rêve américain, mais un rêve collectif. Un rêve d’unité (Avec Mao), de richesse (Avec Deng Xiaoping) et désormais de puissance (Avec Xi Jinping). L’amiral Philip Davidson, à la tête de l’Indo-Pacific Command, penche pour sa part pour la date de 2025. L’amiral James Stavridis a pour sa part co-écrit « 2034 », le titre parle de lui-même.
10/ Le contexte mondial est le même :
Les USA ont beau fortement s’opposer à la Chine, Pékin a conscience que les Américains dans leur ensemble sont las des guerres. L’armée américaine a été mise en échec en Irak et en Afghanistan. Les républicains sont toujours dans l’esprit America First. Les démocrates comptent une frange antimilitariste très populaire. Elle est loin la démonstration de force des armées américaines lors de la première guerre du Golfe qui a passablement impressionné les dignitaires chinois (30 ans déjà). Cette demi-réponse à la guerre en Ukraine entérine l’idée que les Etats-Unis ne sont plus les gendarmes du monde.
11/ Les mouvements indépendantistes :
En 2013, chute du leader pro-russe Viktor Yanoukovitch précipite les événements en Ukraine. L’arrivée inattendue de la nationaliste Tsaï Ing-wen à la présidence de Taïwan, elle-aussi, a changé la donne.
12/ Comme l’Ukraine, Taïwan ne fait pas le poids. Mais …
Il est dit que Taipei, comme Kiev, ne pourra résister que quelques dizaines d’heures. L’envahisseur dispose de l’arme nucléaire ainsi que d’une supériorité militaire écrasante à tous les niveaux. Mais cela ne rend pas pour autant une invasion gagnée par avance. L’envahisseur n’a qu’à bien se tenir. Ci-dessous un comparatif historique, l’auteur vous démontre pourquoi un débarquement à Taïwan est en réalité nettement plus compliqué que le débarquement allié en Normandie :
https://thediplomat.com/2021/05/why-a-taiwan-invasion-would-look-nothing-like-d-day/
13/ Des présidents héros de la résistance :
Volodymyr Zelensky comme Tsai Ing-wen sont les visages de ces conflits. Très proches des occidentaux, nos gouvernements les soutiennent, ce sont les défenseurs de la démocratie. Mais le jour « j », que se passe-t-il ? Les mêmes questions se posent alors. Sont-ils sont abandonnés ou exfiltrés pour éviter un conflit mondial ? Deviennent-ils des résistants, de vrais héros admirés par tous ? Continue-t-on à leur fournir des armes ?
14/ Un échec ? :
La victoire de la Russie semble écrite tant est flagrante la supériorité militaire russe. Mais Poutine peut échouer. Cela explique peut-être pourquoi Xi Jinping et le PCC se sont montrés prudents en revenant sur leur soutien affiché lors des J.O. d’hiver et en s’abstenant lors du vote à l’ONU. Un échec de la prise de l’Ukraine enverrait certainement un vent d’optimisme sur Taïwan. Si les événements vont jusqu’à la chute de Poutine, il est clair que la chute de l’autocrate ferait trembler Pékin. C’est un scénario cauchemardesque pour Xi Jinping et le PCC pour qui tout élan démocrate constitue une véritable menace.
15/ Perturbation des marchés :
Les marchés du blé et du gaz sont actuellement impactés. Les sanctions économiques contre le Kremlin vont également avoir un effet sur nos économies. S’agissant de Taïwan, c’est l’offre des semi-conducteurs de dernière génération qui se verrait gravement affectée. Pour prévenir cela, Washington s’est récemment empressé de faire venir TSMC, le géant des semi-conducteurs taïwanais, à Phoenix en Arizona. Qui plus est, un conflit en mer de Chine pourrait potentiellement paralyser un tiers du trafic maritime mondial.
16/ L’Ukraine est une nation indépendante depuis 1991 :
Si l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN, Taïwan non plus. Taïwan n’est pas non plus diplomatiquement reconnue, contrairement à l’Ukraine. Aucun pays d’envergure ne reconnaît l’indépendance de Taïwan et la majorité des nations s’accorde à dire que Taïwan et la Chine continentale sont un seul et même pays (One China Policy). Côté ukrainien, il y a eu une histoire commune mais évidemment il n’a jamais été question d’un principe équivalent qui serait « d’une seule Russie » sauf peut-être dans la tête de V. Poutine.
17/ Des contre-modèles :
L’Ukraine tout comme Taiwan représentent un défi démocratique, un risque important pour les régimes autoritaires de Moscou et de Pékin. La dislocation de l’URSS a été une catastrophe du point de vue chinois : pour le PCC et dans la tête de Xi Jinping, c’est exactement le scénario redouté et ce que le massacre de Tiananmen a dramatiquement empêché. Un document numéro 9 de Xi Jinping fait d’ailleurs explicitement référence à cette menace pour le régime évoquant la démocratie, la liberté de presse, les droits de l’homme, etc. comme des dangers.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Document_num%C3%A9ro_9
18/ Des présidents autoritaires qui veulent marquer l’histoire :
Xi Jinping comme Vladimir Poutine se voient comme des grands hommes en train de marquer l’histoire de leur pays, pays auxquels ils veulent tous les deux rendre leur grandeur. Cela passe par une unité territoriale retrouvée. La Chine évoque le régime des concessions occidentales et « le siècle des humiliations ». Poutine veut rétablir l’empire russe. À cette fin, les deux dirigeants se sont respectivement débrouillés pour enchaîner les mandats présidentiels sans discontinuer.
19/ Casus Belli :
L’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN a été le faux prétexte fourni par Moscou pour envahir ce pays. Les demandes de l’Ukraine n’étaient pas prêtes d’être acceptées. Taïwan a conscience que le fait de déclarer formellement sont indépendance serait considéré par le PCC comme une déclaration de guerre. Pour l’instant, les USA veulent le respect du status quo.
https://www.bbc.com/news/world-asia-55851052
20/ D’abord Hong Kong et maintenant l’Ukraine … :
Si le cas de Taïwan est bien différent de la situation ukrainienne, évidemment, la situation actuelle n’a rien pour réjouir Taïwan qui a déjà vu s’effondrer la possibilité « d’une Chine, deux systèmes » par la reprise en main de Hong Kong par le gouvernement chinois en 2020. (NB : c-à-d la cohabitation d’un système démocratique, et d’un autre autoritaire). La dissuasion américaine vient de prendre du plomb dans l’aile.
21/ La Russie et la Chine sont dans le viseur de Washington :
Pour Joe Biden, ce sont deux régimes autocratiques et des adversaires de la démocratie. Mais il y a une différence. La Russie est une menace militaire, au niveau régional. La Chine est une menace militaire et économique, une menace en Asie-Pacifique mais aussi pour la suprématie mondiale des Etats-Unis.
22/ Quelle différence avec Trump ? :
Trump dans son opposition à la Chine, n’a jamais évoqué le respect des principes démocratiques comme essentiel. À ce sujet, il y a révélations de John Bolton, son ex conseiller à la défense : « après notre discussion, il a déclaré qu’il ne voulait plus jamais entendre parler ni de Hong Kong, ni des Ouïghours, ni de Taïwan. »
https://www.wsj.com/articles/john-bolton-the-scandal-of-trumps-china-policy-11592419564
23/ Propos inquiétants et gaffes :
Trump, selon les révélations du journaliste du Washington Post Josh Rogin, dans son livre Chaos Under Heaven, aurait confié à un sénateur américain (source anonyme) : « S’ils envahissent Taïwan, p*****, on ne pourra rien faire. Taïwan est à deux pas de la Chine et nous nous sommes à plus de 8000 miles. » De son côté Biden, lors d’une conférence de presse, a affirmé que les Etats-Unis étaient engagés par accord à défendre Taïwan, propos immédiatement corrigés par la Maison Blanche. En réalité, cet engagement n’existe absolument pas.
24/ Enjeux démocratiques ou économiques ? :
Si Biden parle beaucoup démocratie, l’enjeu pour les Etats-Unis est nettement plus large : rester la première puissance mondiale économiquement et militairement. Or la Chine, contrairement à la Russie, est une vraie menace. Il suffit de regarder les courbes de PIB. La courbe de la Chine croisera vraisemblablement dans plusieurs années celle des Etats-Unis tandis que le PIB russe est du niveau de celui de l’Espagne. Qui dit géant économique, dit puissance militaire et influence géopolitique.
Dans le futur, la Chine peut devenir l’hégémon, la première puissance et ainsi façonner un nouvel ordre mondial en fonction de ses intérêts et éventuellement nuire aux intérêts américains. Ce qui n’est pas du tout le cas de la Russie. La question de Taïwan est à envisager dans ce cadre là. C’est une pièce de l’échiquier ou plutôt d’un jeu de go.
25/ Les alliés des USA en Asie sont très inquiets :
Avant de parler de la compétition pour être #1 mondial, il faut commencer par la zone Indo-Pacifique.Militairement, la Chine domine désormais. La flotte chinoise surpasse en nombre la Navy américaine (360 navires de guerre contre 300). Elle considère la Mer de Chine méridionale comme sa propriété (tracé en 9 traits). Elle soumet l’Australie à des sanctions économiques très sévères sans raison valable. Le Japon et la Chine ont de très mauvaises relations. Etc.
26/ Vers un “Axe des autocraties“ ? :
Ce que les Etats-Unis redoutent par dessus tout c’est une association Chine-Russie. On dit que les USA ne peuvent se permettre d’avoir deux grands ennemis à la fois. On en est encore loin. Il s’agit d’une convergence d’intérêts dans laquelle la Chine à le plaisir de voir la Russie détourner les Américains de leur pivot vers l’Asie. Toutefois le récent communiqué long de 5000 mots, issu après la poignée de main de Xi Jinping et Vladimir Poutine aux J.O. d’Hiver, alarme les puissances occidentales. Les Américains veulent réussir leur bras de fer avec la Chine, pas entrer dans une nouvelle logique de guerre froide.
27/ Un assaut amphibie compliqué :
Le cas de Taïwan est différent de celui de l’Ukraine dans le sens où techniquement la partie est nettement moins aisée pour Xi Jinping. Le président chinois a besoin d’un assaut amphibie pour reprendre l’île située à 180 km des côtes chinoises. L’île n’est pas bordée de plages mais de falaises, ce qui implique « des opérations amphibies et aéroportées complexes et coûteuses » (Lionel Faton, Geopolitis, RTS).
28/ Les USA ne s’engagent pas à défendre Taïwan militairement :
Ce n’est pas parce que les USA pivotent vers l’Asie et qu’ils s’opposent à la Chine qu’ils interviendront en cas d’invasion chinoise à Taïwan. Contrairement à ce qu’a affirmé Joe Biden, les Etats-Unis ne promettent pas d’intervenir. Ils se réservent le droit d’intervenir ou non. Ce qui est différent. C’est ce que l’on appelle l’ambiguïté stratégique. Par contre, les Américains s’engagent bel et bien à fournir à Taïwan les moyens de se défendre sur base des accords conclus en 1979.
29/ Le réalisme américain :
On notera que les simulations de combat du Pentagone (Blue Team vs. Red Team) donnent très souvent les Etats-Unis perdants. Ces exercices ont ouvert les yeux aux Américains : ils ne dominent plus militairement la zone du Pacifique. Sur vingt ans, la situation s’est clairement inversée. Pour certains analystes australiens, le danger n’est pas que les USA n’interviennent pas en cas d’invasion de l’armée chinoise, mais bien que les Américains interviennent et qu’ils perdent le combat.
30/ La Chine attendra avant d’envahir Taïwan :
Pékin ne va pas risquer un échec et devrait attendre d’être sûr de remporter la partie contre Taipei. Xi Jinping va apprendre de la guerre en Ukraine. En toute logique, la grande leçon pourrait être “pas de précipitation“.