Une nouvelle entente Moscou-Pékin
Cela n’est pas passé inaperçu, lors des jeux olympiques d’hiver de Pékin, Xi Jinping et Vladimir Poutine se sont serré la main. Poutine est le premier leader que le dirigeant chinois rencontre en personne depuis deux ans. Que le dirigeant russe soit mis à l’honneur, ce n’est pas en soi extraordinaire considérant le boycott diplomatique des jeux voulu par les puissances occidentales en réponse à la répression des Ouïghours aux Xinjiang. Ce qui sort de l’ordinaire, c’est bien sûr le contexte de la crise ukrainienne mais c’est surtout la déclaration commune publiée dans la foulée. Ce communiqué long de cinq mille mots est sans précédent dans l’histoire des deux pays.
« La Chine n’a pas soutenu la guerre en Géorgie de 2008, ni l’invasion de l’Ukraine en 2014. Elle n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée. C’est la première fois que V. Poutine reçoit l’appui d’un dirigeant chinois en la matière », remarque le New Yorker. « La Chine utilise la Russie comme les griffes d’un chat, pour détourner les Américains de leur pivot vers l’Asie » peut-on aussi lire dans le magazine. Ce soutien est par ailleurs à relativiser, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères de la république populaire de Chine, est partiellement revenu dessus.
Le but du Pivot vers l’Asie est de mettre le Moyen Orient et la Russie de côté pour se concentrer sur la compétition avec l’unique puissance en mesure de rivaliser militairement et économiquement avec les États-Unis depuis plus d’un 1 siècle : la Chine. Avec la crise ukrainienne, voilà que les choses se compliquent. Or, l’administration Biden le sait, outre que le pays est las des guerres, les États-Unis ne peuvent pas se permettre d’affronter l’ennemi russe et l’ennemi chinois simultanément. Priorité donc, logiquement, à la rivalité avec la Chine, seule puissance capable de nuire passablement aux intérêts américains dans le futur. Pas d’intervention en Europe. “America is back”, really ?
Cfr : « Russia and China Unveil A Pact Against America and The West », The New Yorker.
“America Cannot Take On China and Russia Simultaneously”, The National Interest.
“America Will not Defend Ukraine, for Fear of China”, The Sydney Morning Herald.
Le retour d’un affrontement entre deux blocs ?
Cette nouvelle union, à en croire les experts, alarme les chancelleries occidentales qui y voient, potentiellement bien entendu, la constitution d’un nouvel axe anti-Occident et un nouveau rapport de force de type guerre froide.
Ce partenariat est loin d’être une alliance, ce n’est pour le moment qu’une solidarité affichée fruit d’une convergence d’intérêts, car les désaccords sont nombreux entre Moscou et Pékin. Les Etats-Unis d’ailleurs connaissent les dossiers divisent (Arctique, Azerbaïdjan, Afrique, etc…) et ils en joueront certainement. Mais si la Russie et la Chine font front commun contre l’Occident comme le suggère le communiqué, ce nouveau partenariat pourrait rétrospectivement être considéré comme le début d’une nouvelle ère de tensions entre deux blocs.
“Cet accord entre la Russie et la Chine est sans précédent. C’est une promesse de faire front contre l’Occident. Il pourrait être considéré rétrospectivement comme le début d’une 2e guerre froide”, confie Robert Daly, directeur du Kissinger Institute on China du Wilson Center, au New York Times. “Toutefois il faut voir si cet accord tiendra, car les intérêts chinois sont beaucoup plus grands en Europe et aux USA qu’en Russie” souligne de son côté Alexander Vershbow, ex-ambassadeur des États-Unis à Moscou.
Cfr : « Bond Between China and Russia Alarms U.S. and Europe Amid Ukraine Crisis », The New York Times.
La faute à Joe Biden ?
Joe Biden a-t-il poussé la Russie et la Chine dans les bras l’un(e) de l’autre ? Peut-être.
Si une logique d’affrontement réapparaît, Joe Biden n’y est pas pour rien. La faute à Joe Biden ? Pourquoi donc ? Parce que le président américain a fait de la lutte « démocratie(s) versus autocratie(s) » le pilier de sa doctrine. Celle-ci s’applique à la politique étrangère des Etats-Unis (Xi Jinping et Vladimir Poutine sont dans le viseur, ce sont eux les autocrates). Mais, de manière moins habituelle, cette doctrine se retrouve aussi valable en politique intérieure (Trump est régulièrement cloué au pilori par son successeur pour avoir mis en danger le processus démocratique de l’élection présidentielle de son propre pays).
On peut saluer cette doctrine, la trouver salutaire, mais on peut aussi la critiquer. Car cette proposition de diviser le monde en 2 camps, les démocraties d’un côté, les autocraties de l’autre, pousse à une logique de confrontation qui n’est pas sans rappeler un certain néoconservatisme (Ronald Reagan et « l’Empire du mal », George Bush et l’Axe du mal). En bien plus soft, certes, mais on se retrouve avec une division du monde en deux, avec un camp moralement juste et un autre moralement corrompu. Cela reste une vision du monde binaire, voire messianique et surtout une vision qui contient en germe une logique de confrontation. Or, si tout président américain, et européen d’ailleurs, se doit de défendre la démocratie dans le monde, il y a la manière.
Pour Bill Clinton, Barack Obama ou même Donald Trump, le monde ne se divisait pas en deux camps.
Bill Clinton a bénéficié de l’effondrement de l’URSS et d’un leadership américain incontesté. Barack Obama s’est notoirement abstenu d’employer la rhétorique churchillienne qui a mené son prédécesseur au désastre. Trump, qui est un contre-exemple bien entendu, ne s’est pas mis la Chine à dos comme Joe Biden. Il ne leur a jamais parlé de démocratie (un contre-exemple, faut-il le répéter). Tout en s’en prenant frontalement à la Chine, il considérait que leur différend pouvait se résoudre par un bon accord, pas que le régime chinois en lui-même était illégitime parce que non démocrate. Ce que semble faire Joe Biden. Ce n’est toutefois pas sans risque. Promouvoir la démocratie dans le monde, signaler les élections truquées, défendre la liberté de la presse, dénoncer avec force un génocide culturel de grande ampleur, c’est une chose. Considérer que tout régime non démocratique (spoiler : il y en a beaucoup) pose problème, en est une autre. Dans cette perspective, on n’est plus très loin d’un affrontement idéologique et de la politique dangereuse de regime change de George W. Bush. En parlant de George W. Bush, on parle ci-et-là d’un Axe des autocraties qui est un mauvais calque de l’Axe du mal.
D’autre part, comment ne pas penser que ces autocraties n’allaient pas se rassembler un jour pour affronter les démocraties occidentales ?
Cfr : « China, Russia and The New Axis of Autocracy », The Wall Street Journal.
« A New Axis », The New York Times.
« The Obama Doctrine », The Atlantic.
La visite de Richard Nixon dans le rétro
Il y a 50 ans tout juste, Richard Nixon divisait le camp communiste en se rendant à Pékin, aujourd’hui, sous la présidence de Joe Biden, ces deux puissances pourraient se rapprocher comme jamais auparavant.
Après deux ans de négociations secrètes préparées par Henry Kissinger à l’insu du Département d’Etat, et beaucoup de promesses ambiguës sur le statut de Taïwan, Richard Nixon débarque de Air Force One et sert la main de Zhou Enlai, le Premier ministre chinois. Les Américains sont stupéfaits : Nixon l’anticommuniste de toujours, est en Chine ! Mais il a une bonne excuse, un plan : diviser Pékin et Moscou.
Sept jours plus tard, fin du mois de février 1972, la rencontre avec Mao et ses dignitaires se termine. Nixon déclare crânement : « Notre séjour a duré tout juste une semaine. C’était la semaine qui a changé le monde ! » 1972 est une année électorale et bien que les choses se présentent assez favorablement pour Nixon, trois mois après sa visite historique en Chine, celui-ci donne ordre de faire cambrioler les locaux du Parti démocrate situés dans le complexe du Watergate à Washington. Cette initiative provoquera sa perte deux ans plus tard.
50 ans après, que reste-t-il de la visite historique de Nixon ? Eh bien, un demi siècle plus tard, les Etats-Unis font face à un rival qui a le potentiel de les dépasser économiquement et militairement. Celui-ci, la République Populaire de Chine, a en conséquence l’opportunité de devenir à son tour l’hégémon, la puissance qui règne sans partage, et ainsi remodeler le monde selon ses propres intérêts. 50 ans après également, quasiment au jour près, cette relation triangulaire revient au devant de la scène : Chinois et Russes se serrent la main aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin, jeux boycotté diplomatiquement par les USA. Vladimir Poutine et Xi Jinping s’affichent, faisant cause commune face à l’hégémonie américaine, et rédigent, chose inédite, un communiqué commun long de cinq mille mots.
« Ce que fait l’Occident est exactement l’inverse de ce qu’a fait Richard Nixon », a déclaré Adrian Geiges, auteur d’une biographie de Xi Jinping, au New York Times. « La Russie et la Chine ne sont pas des partenaires en temps normal. Ils sont devenus partenaires à cause d’un ennemi commun : les Etats-Unis et l’Europe. »
Cfr : « Fifty Years After Nixon’s Historic Visit to China, Questions Hang Over the US-China future », CNN.
« This Is the Russia-China Friendship that Nixon Feared », The New York Times.
CRÉDIT PHOTO : Dan Meyer, Unsplash, free of rights.