« Monsieur Asie »
Faire le portrait de Kurt Campbell, c’est d’emblée être confronté à l’originalité suivante : cerner une personnalité éminente, considérée comme l’une des plus influentes au monde, mais également écrire sur un conseiller aussi brillant qu’inconnu. Et pourtant, s’il n’est pas aussi visible que le secrétaire d’Etat ou encore le conseiller à la Sécurité nationale, Campbell ne se cache absolument pas. Il était d’ailleurs présent au sommet d’Anchorage en mars, assis juste à côté de Jake Sullivan et d’Antony Blinken.
D’une certaine façon, de manière officieuse, Kurt Campbell semble être le numéro 3 de la politique étrangère de l’administration Biden, du moins sur l’Asie en particulier. C’est lui le plus écouté, même s’il reste hiérarchiquement derrière Blinken et Sullivan. Et si Campbell a été désigné « Asia Tsar », c’est-à-dire grosso modo Monsieur Asie, c’est notamment parce qu’il a été responsable de la politique de Barack Obama en Asie de 2009 à 2013 en tant qu’assistant du secrétaire d’Etat pour l’Asie et le Pacifique. Il a également publié un livre sur ce pivot vers l’Asie, et un deuxième sur Xi Jinping.
Le « coordinateur » du Conseil de sécurité nationale
Cela n’est pas passé inaperçu : Joe Biden est passé du fameux « La Chine n’est pas à la hauteur » en 2019 à « La Chine va nous dépasser » un an plus tard. Contagion transatlantique oblige, la Chine est désormais dans le viseur de l’OTAN. Qui donc est responsable de ce volte-face ? Personne ne sait au juste. Peut-être est-ce Jake Sullivan ou Antony Blinken ? Ou bien Barack Obama ou encore Hillary Clinton d’ailleurs. Mais, quoi qu’il en soit, Kurt Campbell est l’homme clé consulté par tout ce petit monde sur la Chine. Ce qui fait de lui rien de moins que l’un des responsables du plus important changement intervenu dans les relations internationales ces dernières années : le pivot américain du Moyen-Orient vers l’Asie. Certes, vu la croissance spectaculaire de la Chine ainsi que le virage offensif de sa politique étrangère depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, on pourra toujours argumenter que cette décision se serait tôt ou tard imposée d’elle-même. Il n’empêche, l’histoire n’était pas écrite, Joe Biden aurait très bien pu accorder davantage d’attention à la Russie qu’à la Chine.
Signe des temps qui changent, le NSC (pour National Security Council) est désormais composé de davantage de conseillers sur l’Asie que sur le Moyen Orient. Kurt Campbell est son « coordinateur ». Bien que ce titre ne paie pas de mine, la fonction de Kurt Campbell est capitale : s’assurer que tous les dossiers, de la course technologique au renouvellement des infrastructures du pays, passent entre ses mains et soient traités en fonction de la rivalité sino-américaine.
De l’usage du Hard Power par les démocrates
Pour Campbell, depuis Ronald Reagan, ou peut-être depuis le Vietnam et les mouvements étudiants anti-guerre, les démocrates ont un problème récurrent : ils manquent de crédibilité tant sur la sécurité des biens et des personnes que sur les questions de sécurité nationale. Pour faire simple, il est très facile pour leurs adversaires républicains de les discréditer, qualifiant ces derniers tantôt de « soft on crime », tantôt de « soft on China ». Campbell encourage donc les démocrates à s’affirmer sur les thèmes de sécurité nationale, de manière à ce que le peuple américain ne fasse pas uniquement confiance aux républicains sur ces enjeux.
Il n’est pas le seul à le penser. D’autres démocrates le rejoignent sur ce point. Certains avancent qu’une rivalité accrue avec la Chine entraînera un cercle vertueux à la maison. La compétition poussera l’Amérique à faire mieux au plan social ainsi que sur les droits civiques… Des démocrates « faucons » vous avez dit ? Voir : The Left Should Play the China Card, Foreign Affairs, février 2020.
Une équipe entière pour contrer Xi
Si Kurt Campbell est régulièrement mentionné comme « l’architecte du pivot américain vers l’Asie », il serait cependant faux d’affirmer qu’il est le seul ou le principal acteur de la nouvelle politique des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine. L’entièreté du NSC qui conseille le président sur la politique étrangère est sur la même longueur d’onde. En outre, nombre d’entre eux ont dû plaire aux sénateurs républicains, et donc avoir une position suffisamment ferme sur la Chine, pour être approuvés à leurs postes.
Antony Blinken a notamment qualifié de génocide la répression du peuple ouïghour lors de son audition par la Chambre haute. Ely Ratner, dont la nomination au poste de vice-secrétaire à la Défense doit encore être confirmée, est notoirement ce que l’on appelle un « China hawk », un faucon donc, partisan d’une ligne dure sur la Chine. Ratner sera donc en principe le « Monsieur Chine » du Pentagone.
Un défi énorme
Lors de l’écriture de cet article, est tombé un compte-rendu d’une conférence de presse tenue à Washington. Il est publié par Reuters. Une citation y est reprise. Elle ne manquera pas de faire des vagues : “Est-ce que les USA et la Chine peuvent coexister pacifiquement ?” Réponse de Compbell : “Oui, mais le défi est énorme pour cette génération et celle d’après.”