Les démocrates approuvent-ils le pivot de Joe Biden vers la Chine ?

La gauche prévient Biden

Les progressistes s’opposent au nouveau discours de Joe Biden, celui-ci présentant de plus en plus la Chine comme une puissance rivale. La gauche américaine, plutôt satisfaite des réformes sociales entamées par leur président, s’inquiète de cette nouvelle politique étrangère, pas franchement prévue au programme, qu’elle juge trop belliqueuse.

Pour le mouvement écologiste Sunrise par exemple, la priorité c’est la lutte contre le changement climatique et pour cela il est urgent de collaborer avec Pékin. Dans le cas d’une nouvelle guerre froide, c’est tout le combat contre le réchauffement climatique qui pourrait voler en éclats, estime officiellement le mouvement qui, avec 40 autres associations progressistes a envoyé une lettre au président Biden pour faire part de ses inquiétudes.

Le sénateur indépendant du Vermont, lui, se désespère carrément. Bernie Sanders ne s’en cache plus : la vision étriquée qu’a Washington (une façon polie de ne pas dire « Joe Biden ») de ses relations avec Pékin lui pose problème. Ainsi, en juin, il s’est fendu d’une longue tribune dans la très prestigieuse revue Foreign Affairs. “Pas de Guerre Froide !”, tonne-t-il. Ainsi, Bernie Sanders dénonce les nouveaux tambours de guerre visant Pékin. On notera que le bimestriel a accueilli plusieurs textes fondamentaux de la politique étrangère américaine en Chine, dont un texte de Richard Nixon (Asia After Vietnam) préfigurant la fameuse rencontre de ce dernier avec Mao en 1972.

Dans son texte, « Bernie » fait part de ses inquiétudes grandissantes : un nouveau consensus anti-Chine s’est mis en place à Washington. Un consensus qu’il qualifie de “dangereux et alarmant“. Pour l’ex-candidat à la Maison Blanche, le fait que les deux partis, républicain et démocrate, se mettent à chanter la même chanson, celle d’une inévitable confrontation, au sujet de la Chine, n’augure rien de bon. Fidèle à son style (franc, sec et frontal), il n’y va pas par quatre chemins : cela lui rappelle les propos démagogiques de la « guerre contre la terreur », voulue par Georges W. Bush, et les prémices de la guerre en Irak. (On peut aussi supposer que notre antimilitariste a la mémoire longue et n’a pas oublié que Joe Biden a voté en faveur de l’intervention armée de 2003 en tant que sénateur.)

Un jeu à somme nulle

Sanders dénonce une vison de la rivalité USA – Chine équivalent à un jeu à somme nulle (zero-sum game) où quand la Chine gagne, les Etats-Unis perdent, et inversement. Pour lui, au contraire, les deux géants peuvent coopérer et s’élever par le haut, en relevant le défi du bouleversement climatique par exemple. Mais aussi en luttant contre les inégalités économiques, la corruption, etc.

Côté économique, il rappelle qu’il y a 20 ans tout juste, il avait voté contre l’octroi permanent à la Chine du statut de la nation la plus privilégiée à l’OMC, et qu’alors “corporate America, les médias et l’establishment“ s’étaient empressés de faire adopter la mesure. Lui, au contraire, avait prévenu : emplois précaires et désindustrialisation allaient suivre.

L’homme aux moufles, qui nous a tous fait rire il y a quelques mois, n’épargne pas la Chine pour autant. Bien au contraire. Il juge la répression au Xinjiang “atroce“, dénonce le vol en masse de la propriété intellectuelle orchestrée par le PCC et condamne la mise au pas de Hong Kong. Mais …

Priorité aux mesures sociales

En ce qui le concerne, le « combat comme l’autocratie » si cher au 46e président se livre à la maison. Ce combat concerne le trumpisme et il se gagne grâce à des politiques sociales. Quant à Joe Biden, il est lui-même invité à ne pas utiliser la bonne vieille recette nationaliste : cimenter la nation par la fabrication d’un ennemi extérieur. Le combat pour la démocratie ne se gagne pas sur les champs de bataille mais bien au sein de chaque nation. Au contraire, si l’on ne prend garde, l’omniprésence d’un tel duel poussera irrémédiablement chaque camp vers l’ultranationalisme.

Et le sénateur rebelle de prier l’administration américaine d’aider la middle-class en lieu et place d’octroyer des budgets toujours plus faramineux au Pentagone. Il y a deux semaines à peine, Sanders était d’ailleurs le seul sénateur démocrate à voter contre l’allocation d’un budget de 250 milliards de dollars destiné à soutenir la R&D d’entreprises américaines hautement stratégiques, et dont l’objectif clair est de contrer le plan rival Made in China 2025.

Joe Biden se révèle en fin de comptes être un président progressiste et ambitieux, il est vrai, à la grande satisfaction du frondeur du Vermont d’ailleurs, mais Sanders est un antimilitariste dans l’âme. Il s’est engagé en politique pour dénoncer la guerre du Vietnam qui était alors soutenue par le Parti démocrate. C’est un esprit indépendant, toujours sur ses gardes. Et il ne s’en laissera jamais conter.

L’unité démocrate se fissure

Bien évidemment, à Pékin on lit Foreign Affairs. La salve de critiques de Bernie Sanders contre la politique de Joe Biden visant à contenir la Chine n’est pas passée inaperçue. CGTN s’est empressée de reprendre ses propos dans un article.

Les démocrates centristes, quant à eux, attendent de voir. Sans aller jusqu’à s’opposer à leur président, ils espèrent, dit-on, un retour à la politique moins offensive de Barack Obama par rapport aux relations avec Pékin.

Pour en revenir à cette sortie de Sanders, elle paraît anodine comme ça, alors formulons-la autrement : l’unité démocrate se fissure sur la Chine. En mai déjà, Ilhan Omar faisait part de ses inquiétudes quant aux positions clairement anti-Chine de Joe Biden. Ça n’est pas rien. Le propre camp de Joe Biden s’oppose à sa politique étrangère. Et ça n’est probablement que le début.


CHARLES VOISIN

©Photo : Michael Vadon – Creative Commons – Via Flickr

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